Pratiques stratégiques des multinationales françaises en Chine : analyse des facteurs culturels (2024)

1Après 50 ans de relations diplomatiques entre la France et la République Populaire de Chine, et surtout 20 ans de présence de la CCI française en Chine, les deux pays construisent un «partenariat pour l’avenir» [3]. Les échanges commerciaux s’élèvent à 56,8 milliards d’euros en 2014, avec une hausse de 5,5% par rapport l’année 2013; la Chine demeure le deuxième fournisseur de la France, et figure au huitième rang des pays de destination des exportations françaises [4]. Le développement des entreprises françaises en Chine devient de plus en plus important: plus de 1500 entreprises françaises présentes en Chine réalisent près de 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013 et emploient plus de 500 000 personnes (CCIFC, 2013). En 2014, sur les 31 entreprises françaises classées Fortune 500, 28 sont implantées en Chine, tandis que sur les entreprises du CAC40, c’est le cas de 38.

2Étant le plus grand marché émergent, dominant le marché des investissem*nts directs étrangers (IDE) (UNCTAD, 2014), la Chine apparaît comme un cas «par excellence» pour étudier le développement des firmes multinationales (FMN) et leur environnement (Buckley, 2009). Leur réussite nécessite la prise en compte des particularités locales (Jaussaud et Mayrhofer, 2013). La complexité des systèmes socio-politiques, le dynamisme du marché et les changements imprévisibles issus de décisions politiques font que les FMN occidentales poursuivant leur développement en Chine sont confrontées à une incertitude plus importante. Cette particularité locale oblige les FMN à gérer leurs activités sur place différemment (Hadjikhani et al., 2012); y compris en modifiant les pratiques associées à leurs outils managériaux.

3La culture traditionnelle, et plus particulièrement l’influence de Confucius, est jugée par des chercheurs comme un élément positif dans toutes les sociétés sinisées (Pesqueux, 2010). Cependant, l’ouverture du pays à l’international a eu comme conséquence de très profondes transformations de la société chinoise, qui devient de plus en plus complexe et paradoxale: en effet, la Chine contemporaine est un mélange d’économie planifiée et de capitalisme acharné, où le discours anti-impérialiste est jumelé à l’adoration des USA. Cette particularité locale influence directement la gestion des entreprises (Faure et Fang, 2008).

4Or, dans la discipline du management international, les recherches focalisées sur les FMN françaises implantées en Chine sont peu nombreuses (Fetscherin et al., 2010). Sachant que leur origine française influence leur décision stratégique, leur manière de coordonner les activités au niveau global, et leurs réactions face aux multiples distances (d’Iribarne, 2009; Beddi et Mayrhofer, 2013), ce manque de travaux soulève la question suivante: comment les FMN françaises élaborent-elles un management stratégique selon une «logique chinoise» afin de favoriser l’adaptation de leurs pratiques aux spécificités du contexte local?

5Pour répondre à cette question, nous employons d’abord l’approche «stratégie comme pratiques sociales» comme cadre théorique. Nous analyserons ensuite les impacts du contexte socioculturel chinois sur la pratique du management stratégique des FMN françaises selon trois axes: formulation de la pensée stratégique, processus de la prise de décision et mise en place des stratégies. Après la présentation des entreprises étudiées et de nos démarches méthodologiques, nous interprèterons et discuterons les résultats obtenus.

6L’approche «strategy-as-practice» se focalise sur la façon dont les praticiens de la stratégie agissent et interagissent (Whittington, 1996). Nous essayons de comprendre les pratiques du management stratégique, comme étant un ensemble d’outils managériaux (Jarzabkowski et al., 2013), utilisés par les managers dans d’autres systèmes de références sociales. Les praticiens présents dans les filiales des FMN à l’étranger ne partagent pas les mêmes valeurs culturelles et aspirations sociales, a priori, que celles des praticiens de la maison-mère. La culture nationale est un système de sens, à travers lequel l’individu perçoit et interprète une situation ou une action concrète (d’Iribarne, 1989). En analysant les facteurs spécifiques du contexte socioculturel, nous nous intéresserons à la manière dont les managers mettent en œuvre la stratégie dans leurs activités quotidiennes (Johnson et al., 2007; Jarzabkozski et al., 2007) afin d’en tirer des enseignements pour améliorer l’efficacité du management stratégique des FMN dans leurs filiales étrangères.

7Les valeurs occidentales et chinoises sont «extrêmement» opposées au sein des filiales de FMN en Chine, selon Jullien (1997) qui utilise la Chine comme un «point d’écart» par rapport à la tradition européenne. Pour lui, la Chine est unique pour représenter un tel «cas d’extériorité» vis-à-vis de la tradition occidentale au sens large en comparaison des autres cultures (arabe, africaine, indienne). L’exemple de la Chine nous permet ainsi «de s’ouvrir vers des objets nouveaux et d’observer des changements […] au sein d’un même pays, coexistent des éléments culturels anciens, des éléments importés, des métissages innovants et des «bricolages» en tous genre que la recherche classique a bien du mal à appréhender» (Livian, 2011, p.17).

8Nous étudierons les pratiques du management stratégique des FMN en Chine selon trois axes: la formation de la pensée stratégique, le processus de la prise de décision et, enfin, la mise en place des stratégies (Martinet, 2001, 2008). Par ailleurs, nous appréhendons les effets de la culture chinoise selon trois axes: les fondements de la pensée holistique, les attitudes spécifiques vis-à-vis des concepts de pouvoir et de responsabilité et, enfin, leur organisation des relations sociales. Grâce à ce croisem*nt (cf. tableau ci-dessous) nous avons pu établir une liste d’interrogations auxquelles nous répondrons plus loin à l’aide de notre étude terrain.

Pratiques stratégiques des multinationales françaises en Chine: analyse des facteurs culturels (1)

Management stratégiqueComment les FMN françaises pratiquent-elles leur management stratégique en Chine?Effets de la culture chinoiseFormulation de la pensée stratégiqueComment les objectifs stratégiques des filiales sont élaborés?Pensée holistique des chinoisProcessus de prise de décisionQuelles sont leurs procédures de prise de décision?Rapport au pouvoir et à la responsabilité des individus chinoisMise en place des stratégiesComment sont-elles mises en place par les managers chinois?Interactions psychosociales

9La vision que les chinois ont du monde est basée sur une pensée «holistique» qui leur permet d’avoir une «vue d’ensemble» sur les problèmes auxquels ils sont confrontés. Cette approche part du principe qu’il est à la fois difficile et inutile de chercher et de distinguer des liens de causalité linéaire. Par ailleurs, cette «vue d’ensemble» est dynamique, modifiable et peu stéréotypée. Elle se positionne dans un univers qui se développe sans cesse au sein de deux forces abstraites, le Yin et le Yang. Ces deux forces sont à la fois corrélatives, antagonistes et complémentaires (Jullien, 1997).

10Etant indivisible, «l’efficacité naît du processus et de la capacité d’adaptation à la réalité» (Chieng, 2006, p. 180). Elle ne dépend pas uniquement de l’initiative individuelle mais aussi des facteurs favorables propres à chaque situation et sur lesquels on peut s’appuyer pour réussir (Jullien, 1997). Par conséquent, la pensée des chinois est essentiellement synthétique et pragmatique, tournée vers les interprétations de toutes sortes, des «réalités» existantes et concrètes. Alors, puisque rien n’est purement et simplement d’une seule forme, la seule façon d’arriver à atteindre «une vérité» est de la suggérer (Lin, 1997). La question fondamentale qui se pose est de trouver une forme adaptée à une situation concrète parmi les nombreuses représentations possibles. À partir de cette pensée, les objectifs stratégiques existent-ils dans la vie des entreprises? Si oui, sous quelle forme doivent-ils être formulés et communiqués?

11L’absence de l’esprit de «définition» chez les penseurs chinois est surprenante pour des occidentaux (Chieng, 2006). Ce qui est important pour les chinois n’est pas le «pourquoi» des êtres et des choses mais le «comment» du fonctionnement de l’univers dans lequel l’homme est inclus. Le but de toute action est de parvenir à une meilleure maîtrise d’ensemble et de faire progresser l’homme. Cette approche permet-elle aux managers chinois d’utiliser des indicateurs de performance mesurables et mesurés ainsi que des procédures d’actions, comme le font les occidentaux? Existe-t-il des processus de travail susceptibles d’aider à la formation des stratégies?

12Puisque «la vérité» est complexe et changeante, elle ne peut être ni définie ni vérifiée (Liang, 2000). L’intérêt des chinois est de se tourner directement vers le résultat et vers le fond. La forme et le processus pour arriver au but peuvent être ignorés car ces dimensions ne constituent pas une valeur ajoutée. Les chinois commencent par chercher «d’où découlera la victoire», à partir de l’examen minutieux des forces favorables (Juillen, 1997); ces forces sont en évolution permanente ce qui rend le processus complexe. Des questions se posent aux collaborateurs non-chinois: comment comprendre et intégrer ce raisonnement pragmatique dans le management stratégique? Comment élaborer les procédures du suivi? Comment travailler en équipe dans cette logique pragmatique?

13Dans la pensée holistique des chinois, c’est dans le passage de la sensibilisation des forces [5] en présence au potentiel qui s’en dégage que tout se joue: ce potentiel consiste à déterminer le «contexte circonstanciel» en fonction du profit (Jullien, 1997). Or, les FMN utilisent les outils managériaux, y compris les méthodes établies du management stratégique, qui reposent sur un raisonnement en termes de «fins-moyens», et sur la modélisation cartésienne. Comment concilier le fait que «l’Occident ne conçoit pas que d’autres systèmes puissent fonctionner» (Chieng, 2006, p. 80), avec la gestion des FMN dans leurs filiales chinoises? Les méthodes et les outils «modernes occidentaux» peuvent-ils être appliqués par les chinois pragmatiques sans déplacer, via un glissem*nt sémantique, l’objectif principal de l’entreprise, à savoir la rentabilité?

14Dans la culture chinoise, les attitudes des individus en termes de pouvoir et de responsabilité ne peuvent, nous semble-t-il, simplement se résumer qu’à «une forte distance hiérarchique qui accepte des inégalités» (Hofstede, 2009). En effet, cette distance existe en deux dimensions indépendantes: à la fois verticale et horizontale (Child et Warner, 2003).

15La prise de décisions dans la société chinoise est traditionnellement fondée sur une approche autoritaire qui correspond à une forte distance du pouvoir, un respect de la hiérarchie et une concentration du pouvoir au sommet. Perter (2002) constate l’existence de différents types de pouvoirs dans la culture chinoise. Ces différents pouvoirs s’établissent verticalement de bas en haut sur la chaîne de commandement selon un subtil équilibre: pouvoir agir, pouvoir décider, pouvoir contrer la décision et pouvoir paraître. Cette répartition des pouvoirs entraîne deux types de responsabilités: réelles et symboliques. Plus un individu s’élève dans l’échelle sociale, plus il est respecté et omniscient; et moins il a de responsabilités réelles, c’est-à-dire opérationnelles.

16En ce qui concerne la poursuite des objectifs, les individus se réfèrent à leurs supérieurs, sans remettre en question leurs avis. En contrepartie, ils attendent d’eux qu’ils soient bienveillants, qu’ils traitent tous les employés équitablement et enfin qu’ils leur fournissent une stabilité, une supervision étroite ainsi que des règles explicites. Dans un tel cadre la décentralisation est-elle possible/souhaitable?

17À chaque niveau hiérarchique, les membres des équipes cherchent le consensus pour l’intérêt commun et l’harmonie de l’ensemble de l’entreprise. La notion de «responsabilité» est remplacée par un fort sens du «devoir»; l’accent est mis sur les liens et les échanges basés sur les réciprocités et les obligations; les supérieurs hiérarchiques promeuvent le développement individuel de leurs subordonnés et sont chargés de les protéger (Child et Warner, 2003). Comment cela influence la prise de décision des FMN? Qui participe à la formulation des stratégies? Comment répartir les responsabilités?

18Afin de rendre compréhensibles les pratiques «exotiques» des chinois, la singularité de la culture chinoise est étudiée par le biais des concepts psychosociaux, c’est-à-dire les manières de participer à la vie collective, dont la vie en entreprise (Fang, 1999). Dans la littérature (principalement anthropologique) évoquée pour définir le «management chinois», quatre concepts s’avèrent particulièrement récurrents:

19Les relations sociales chinoises sont marquées par une forte orientation collective, tournées à la fois vers un groupe, auquel chacun ne cesse de se référer et vers la famille, considérée comme l’unité de base de la société (Liang, 2000). Chaque membre du groupe doit ainsi faire son devoir en fonction d’une position clairement définie socialement sous peine de perdre ladite position, alors que le chef (de famille et, par extension, du groupe) est considéré comme une figure paternelle qui doit prendre soin de ses subordonnés. Cette orientation collective entraîne l’obligation de réciprocité, selon laquelle les individus doivent activement s’entraider, faire passer le «nous» avant le «moi», sans cependant que le «moi» soit nié, s’il respecte la règle du «nous». L’individu intègre ainsi son intérêt dans la réalisation des objectifs du groupe, qui en contrepartie lui apportera un retour favorable, tant sur le plan professionnel que sur le plan social. Cette orientation collective favorise-t-elle la mise en place du management stratégique?

20Dans la société chinoise la sagesse viendrait avec l’accumulation des expériences. Le respect de «la séniorité» et de la hiérarchie participent à la préservation de l’«harmonie sociale». Quel que soit le contexte, les chinois ne doivent dévoiler leurs véritables forces intérieures devant les autres afin de ne pas menacer l’équilibre et le maintien de l’harmonie sociale. Pour cela, ils se placent en position d’infériorité par rapport à l’interlocuteur en faisant preuve de respect et d’écoute à son égard, ce qui peut être considéré comme le fait d’avoir du tact ou une forme de politesse (Huon de Kermadec, 1989). Dans ce cas, le respect pourrait-il constituer un blocage pour les pratiques managériales occidentales? Les managers de tout âge expriment-ils leur propre point de vue ou celui de leur interlocuteur?

21Longtemps étudiée et théorisée au cours des années 1990 et 2000, la notion de «guanxi», généralement employée dans sa forme chinoise, littéralement «relation», «rapport» ou «interaction», a été définie selon plusieurs niveaux et approches, par exemple, comme «relations ou connections sociales fondées sur des intérêts et bénéfices mutuels» (Bian, 1997). Ces relations, hiérarchisées de façon complexe entre les personnes ou entre les «centres d’intérêt», sont mobilisées afin d’améliorer et de préserver les ressources possédées, matérielles ou pas (Park et Luo, 2001). Dans le contexte actuel du paradoxe entre la croissance «formelle» de l’économie et le dysfonctionnement «informel» de la bureaucratie, le guanxi constitue souvent une méthode de gestion plus efficace que le recours à la loi (d’Iribarne, 2009). Alors comment utiliser le principe de guanxi dans les coopérations avec les partenaires internes mais aussi externes?

22Le concept de «face» a un impact fondamental dans la façon de vivre «théâtrale» des chinois, comme mécanisme moral d’autorégulation (Lin, 1997) ou comportement scénique (front stage behavior) au sens de Goffman (1967). La «face» d’un individu correspond à sa position sociale ou au prestige, gagné en remplissant un ou plusieurs rôles sociaux spécifiques reconnus par les autres (Hu, 1944); et cette «face» implique un important travail de projection d’une image de soi et une gestion des impressions des autres.

23La «face» d’un individu regroupe l’ensemble des marques de respect et de déférence à préserver. La perte de la «face», c’est-à-dire la destruction aux yeux du public de l’image d’un individu, équivaut à détruire, à nier son rôle sur la scène publique, son prestige social, ce qui revient pratiquement à détruire la personne qui «perd également toute crédibilité et ne peut donc plus prétendre à jouir d’une position honorable dans la société» (Vorapheth, 1997). L’estime de soi d’un individu passe donc par le concept de la «face».

24Dans ce cas, quel type de communication interne est la plus satisfaisante pour le management stratégique? Comment évaluer les résultats du travail des uns et des autres sans heurter leur sensibilité?

25Au vu de la connaissance émergente dans un contexte international varié, nous choisissons la méthode d’étude de cas, car elle nous permet de retracer et d’analyser spatialement et temporellement un phénomène complexe grâce aux conditions, aux événements, aux acteurs et aux implications (Yin, 2009). Quatre FMN françaises [6] ont été choisies selon le principe de «variété industrielle» afin d’éviter le biais des influences technologiques sur leur façon de gérer (au sens de Woodward).

26Afin de répondre à notre problématique-type «comment faire», 45 entretiens semi-structurés, en face-à-face, d’une durée de 30 à 90 minutes, dont 13 en français et 32 en chinois, ont été effectués dans la langue maternelle des interviewés afin de réduire les biais et les difficultés linguistiques souvent rencontrés dans les études internationales (Roy et al., 2001). Les lieux des entretiens étaient variés et situés dans les différents départements des quatre FMN françaises étudiées: les sièges en Chine; les sites de production; les sites de commerce; les sites de R&D, etc. Les entretiens ont été retranscrits, traités et analysés avec d’autres données: documentations internes aux entreprises, informations secondaires dans la presse et notes d’observations prises pendant l’enquête au sein des entreprises. Contrairement à l’approche classique des analyses lexicales, les corpus ont été traités et analysés par thèmes, dans leurs versions originales et non traduites. Notre objectif était de comprendre le «sens caché» derrière ces discours. Ce choix est lié au contexte de communication riche dans la culture chinoise, où les discours peuvent être interprétés. Les analyses de contenu se sont déroulées en trois étapes: codage fermé, ouverture de codage et re-catégorisation des codages par le logiciel NVivo7, qui nous a permis de codifier, croiser et analyser simultanément les diverses formes de textes en multiples langues. Ce processus d’analyse de contenu nous permet non seulement de répondre à nos questions formulées en amont, mais aussi de saisir les «nouveaux termes» qui ont émergé pendant notre enquête.

Pratiques stratégiques des multinationales françaises en Chine: analyse des facteurs culturels (2)

FMN-AFMN-TFMN-EFMN-KSecteurHôtellerieÉnergieMinierChimieProduit principalService d’hôtellerie et de tourismePétrole et gazNickel, manganèse et alliagesRéfractaire et de la sidérurgie, chimie du bâtimentDate d’entrée en Chine1985197019951998

Pratiques stratégiques des multinationales françaises en Chine: analyse des facteurs culturels (3)

FMN-AFMN-TFMN-EFMN-KActivités globalesLeader mondial dans les services dans près de 100 pays avec 150 000 collaborateurs4e groupe pétrolier intégré dans plus de 130 pays et comptant 96 400 collaborateursPosition mondiale de 1er plan, dans plus de 20 pays sur les cinq continentsInventeur du ciment fondu en 1908, d’un réseau mondial dans plus de 100 paysActivités en ChineEn 2012, plus de 130 hôtels (33 000 chambres) dans 48 villes, plus de 400 hôtels prévusen 2015En 2010, plus de 30 implantations dans toutes les activités3 branches dans 4 centres de production, plusieurs centres de distribution et de commerceCentres de production, rachat des anciennes usines d’état, deux centres de commence

27Les résultats [7] sont interprétés en fonction des trois axes du contexte socioculturel chinois, présentés ci-dessus.

28Les résultats de nos entretiens montrent que la dynamique de la pensé holistique impacte significativement la formation de la pensée stratégique des managers chinois et des équipes managériales franco-chinoises.

29L’approche holistique, dynamique et malléable a pour conséquence l’absence d’intérêt pour la formalisation des objectifs à long terme par les managers chinois. Contrairement à leurs collaborateurs français, ils ont plus de difficultés à formuler des objectifs à moyen/long terme. Il leur semble inutile d’anticiper une telle situation: un objectif ou une stratégie est «faite pour être réalisée et être réalisée rapidement, parce que si jamais ceci ne fonctionne pas sur le court terme, le long terme peut-être ne sera pas bon non plus alors on pourra le changer» FR/CD/9. Cette approche diffère fondamentalement de celle de leurs collègues français qui pensent en termes d’adéquation fins-moyens.

30Puisque «tout change sans arrêt ici» CN/CD/7, les managers interrogés, chinois et français, trouvent qu’il est inutile de décrire de manière détaillée leurs objectifs stratégiques locaux. Ils préfèrent des objectifs plus flexibles, soit par des révisions et redéfinitions fréquentes, soit par l’utilisation de différents types d’objectifs temporaires.

31Pour un manager chinois, le plan stratégique «en théorie, tout le monde peut comprendre. En revanche, parfois, qui peut savoir des choses dans trois ou cinq ans?» CN/ CD/12. Pour un autre «On anticipe trop à long terme, qui peut savoir ce qui se passera après?» CN/CD/3.

32Pour un manager français, «ce n’est pas très différent du budget. Le budget est la même chose, mais sur un an. La seule différence, c’est que c’est sur 3 ans et donc, ça veut dire qu’ils vont penser: qu’est-ce qui peut se passer dans 3 ans?». Pour lui, la stratégie «c’est vraiment la formation en faisant» FR/TM/2.

33Nous constatons une cohabitation de deux processus, formel et informel, au sein des filiales chinoises lors de leur travail d’élaboration des stratégies locales.

34Les procédures prescrites par le siège à Paris sont standardisées afin d’être consolidées et d’être intégrées ultérieurement dans le tableau du bord des stratégies et des activités du groupe. Or, les managers chinois trouvent que ces procédures formelles, et notamment tous les rapports écrits, sont «ennuyeux et compliqués» CN/CD/12. Les managers en Chine trouvent également que le programme d’actions, tout comme les plans détaillés, sont irréalistes, et donc inutiles, rendant leurs activités inefficaces: «le planning en 5 ans est des discussions vides (paroles en l’air)… Personne ne sait ce qui va se passer pendant ces cinq ans» CN/CD/2.

35Contrairement à leurs collègues français qui «suivent toujours toutes les étapes, du début à la fin» CN/TM/10+, les managers chinois préfèrent avancer rapidement puis réagir, aussi vite que possible, en fonction de l’environnement. «L’approche chinoise est la suivante: si on a un bon feeling sur un business, on va y aller, on va essayer» FR/CD/8.

36Les chinois trouvent que le plus important est d’atteindre les objectifs du moment, mais la question du «comment» est peu intéressante: puisque les changements sont rapides et continuels, les processus formels et écrits ne peuvent raisonnablement être modifiés en fonction de l’évolution de la situation, et par conséquent ils n’ont plus d’importance ni besoin de formalisation.

37Les 4 entreprises interrogées utilisent des méthodes occidentales répandues telles que l’analyse «what/if», l’analyse des «facteurs clé de succès» ou l’analyse SWOT, bien qu’elles ne soient pas traditionnellement populaires dans le monde des affaires chinois. «Les tableaux qui résument des données, c’est quelque chose de […] assez occidental. Ce n’est pas naturel pour les gens en Chine […] Ce n’est pas dans leur culture» FR/CD/7.

38L’utilisation de ces méthodes est beaucoup remise en question par les managers chinois: «ils (les français) attachent trop d’importance aux chiffres, ils font grand cas d’une série de ratios pour l’investissem*nt, ils font des calculs, etc. ils aiment bien lister toutes les possibilités, tout ce qu’il faut dans un tableau, un tableau énorme» CN/TM/10+.

39Or, «on ne peut pas analyser seulement avec les méthodes, ce n’est pas possible en Chine. Nous suivons plus notre sentiment… qui se base sur l’expérience» CN/CD/8.

40C’est ainsi que les interlocuteurs français témoignent que «les chinois sont très pragmatiques, très tournés résultat immédiat, […] ils ne s’intéressent pas systématiquement à tous les concepts dont les français parlent» FR/CD/9. Par ailleurs, «dans l’esprit des chinois, toutes les hypothèses sont fausses parce que si l’on fait une hypothèse, ceci veut dire que l’on n’est pas sûr. Donc, ils ont peur de faire des hypothèses parce qu’ils ont peur qu’on leur reproche ensuite d’avoir mis des chiffres qui sont faux».

41Notre analyse nous amène à constater des différences fondamentales au niveau des processus de prise de décision.

42Entre siège et filiale, le processus est «classique» dans le sens vertical: le siège annonce le positionnement stratégique des filiales pour l’ensemble des activités de la FMN, suivi par la formalisation de procédures (top-down). Ensuite le siège décentralise le pouvoir de l’élaboration des stratégies en accompagnant la décentralisation des responsabilités pour l’ensemble des filiales. Il consolide et recommande les stratégies locales élaborées par la filiale afin de les accorder et de les intégrer aux stratégies globales de la FMN (bottom-up).

43Or la prise de décision au sein des filiales chinoises commence dans le sens bottom-up puis se poursuit en top-down dans la mesure où la pensée stratégique émerge de l’intuition des managers et de leur sensibilisation aux facteurs porteurs de sens dans leur travail. «Parce qu’on (le management du bureau à Shanghai) ne peut pas non plus le deviner, il faut qu’on puisse aussi travailler avec les gens qui «font» vraiment […] qui sont dans le business» FR/CD/9.

44La répartition horizontale des pouvoirs et des responsabilités est interconnectée au processus vertical de la prise de décision, présenté ci-dessus: à chaque niveau hiérarchique, la participation des managers se distingue par la recherche du consensus et de l’intérêt commun inter et intra-groupe. La cohésion horizontale repose sur le fait que 1) les responsabilités ne sont pas définies strictement de façon formelle et 2) les individus sont censés s’entraider. La coopération devient une façon d’éviter les risques et de réduire les responsabilités. «Il n’y a pas de problème, quand tout le monde est d’accord… à part certaines personnes» FR/CD/7.

45Toutefois, la quête constante du consensus peut agir comme un frein dans la délibération des réflexions stratégiques de chaque manager, dans la mesure où il ne peut pas exprimer ses opinons personnelles sans prendre en considération l’opinion d’autrui. «Les gens ne disent pas forcément ce qu’ils pensent. Ceci est comme un frein à la communication… Maintenant on est habitué à ça» FR/TM/9. Parce que «Entre gens égaux au même niveau hiérarchique, dans une réunion, par respect du consensus, les gens ont plus de risque de faire du tort aux autres que s’ils ne parlent pas» FR/CD/10+.

46Les résultats démontrent que les chinois sont très sensibles à la qualité des rapports interpersonnels. Ainsi la mise en place des stratégies dépend des rapports interpersonnels, internes et externes de l’entreprise, chez les managers chinois et chez les expatriés français. Les facteurs psychosociaux présentés ci-dessus peuvent être utilisés comme des «outils pratiques» pour rendre les activités plus efficaces et dynamiques, à condition que les managers français puissent les maîtriser.

47Nous constatons que la recherche de l’harmonie par la coopération reste limitée aux membres d’un même groupe, sans s’étendre à l’ensemble de l’organisation, perturbée par la présence des expatriés. Nous rappelons que la façon dont les chinois agissent et réagissent varie selon le critère de «in-group» ou «out-group»; un niveau élevé de confiance entre les membres in-group ne peut jamais être transféré vers quelqu’un à l’extérieur du groupe d’intérêt.

48L’expérience des expatriés interrogés rappelle que s’ils veulent bénéficier de cette confiance, ils doivent se faire accepter par le groupe et en devenir un membre qui partage les mêmes intérêts que les autres. Cette confiance est nécessaire pour éviter les conflits et résoudre les problèmes. «Gagner la confiance de nos collaborateurs n’est pas facile mais, s’il n’y a pas de confiance, ça sera difficile d’obtenir une opinion valable ou une opinion tranchée, ils diront ’oui, pourquoi pas, oui, peut-être, enfin oui, peut-être que non’. Alors que, si vous avez obtenu la confiance, on peut travailler de façon normale» FR/CD/7.

49Lorsque la formulation des stratégies est initiée de façon bottom-up, un manager ne peut pas développer des objectifs stratégiques de façon efficace sans la confiance de son équipe ou l’initiative de ses membres.

50Les managers français interrogés évoquent la nécessité pour un chef d’équipe d’intégrer individuellement chaque membre de son équipe et d’«essayer vraiment de communiquer et d’être au niveau des gens, en faisant un discours égal». Par exemple: aller voir les personnes et leur dire «voilà, par rapport à ça, qu’est-ce que tu en penses?» FR/CD/9.

51Or «ce n’est pas facile […] il faut gagner le respect d’abord avant d’avoir la confiance. C’est-à-dire si vous montrez que vous êtes compétent et que vous avez de l’expérience, vous gagnez le respect. Et ensuite, si la personne comprend (votre compétence), la confiance va venir petit à petit. […] Mais cette confiance passe d’abord par un respect» FR/CD/8.

52Autrement dit, pour obtenir la confiance de ses subordonnés, un manager français doit faire valoir à la fois sa «séniorité» et ses compétences. Imposer uniquement le respect hiérarchique peut résulter dans un manque d’initiative et faire émerger des barrières managériales importantes. «Il y a toujours cette image:’il est plus âgé que moi, il faut quand même que je fasse gaffe à ce que je dis’. Ça, c’est encore très vrai dans les relations entre chinois» FR/TM/3.

53Après une trentaine d’années de développement en Chine, les managers des FMN commencent à comprendre et à reconnaître le fait que les relations interpersonnelles dans la vie professionnelle et personnelle constituent la valeur clé de la culture chinoise. «Ils (les expatriés français) le comprennent, ils le savent… De plus, je pense qu’ils savent très bien profiter de ce genre de choses (rire)… Toutes ces choses-là, elles ressemblent à un couteau, soit elles deviennent un outil, soit elles deviennent un danger, tout dépend de quel côté on le tient» CN/CD/12.

54Or, malgré cette reconnaissance, la maîtrise des réseaux personnels reste encore difficile pour les occidentaux, notamment dans les contacts externes. «Ce sont des chinois qui connaissent bien le marché local, les partenaires chinois locaux; ensuite, il y a un besoin évident de toute façon en chinois» FR/CD/2. Dans ce contexte, les managers chinois jouent le rôle de go-between dans les «jeux» sociaux et se positionnent entre l’intérêt de leur entreprise «étrangère» et les partenaires externes «nationaux». Comme ils connaissent les réseaux professionnels de leur domaine, ils bénéficient d’informations informelles et utiles pour leur entreprise. «Sur ce point, mon patron français me fait confiance et il me donne aussi un coup de main quand j’ai besoin de lui. Parce que, nous travaillons dans ce secteur ou dans ce métier depuis tellement longtemps que nous connaissons les gens, les règles virtuelles» CN/CD/13.

55La nécessité de garder «la face» se manifeste souvent dans la manière dont les problèmes sont exposés. Pour faire face à une demande difficile ou controversée, une communication indirecte est privilégiée pour éviter de perdre la «face» et d’«endommager» les relations interpersonnelles, y compris entre expatriés et locaux.

56Par exemple, un employé chinois peut s’installer dans une logique de rétention d’information problématique jusqu’à ce qu’il soit impossible de la nier. «Puisqu’on attend toujours la validation du boss, ou la ligne de conduite du boss, la ligne directrice, et il n’y a pas ce côté proactif» FR/CD/2. Une des raisons de cette attitude est liée au respect de la hiérarchie, dans la mesure où le manager est le seul responsable «légitime» dans le processus de recherche de solution.

57Un autre type de malentendu est lié au fait que les français ont tendance à parler directement d’un problème alors que les chinois peuvent considérer cela comme «mal poli»: alors que les français trouvent que leurs collègues chinois ont l’habitude d’écouter attentivement ce qui leur est dit, ils sont en réalité en train de laisser leur interlocuteur développer ses arguments et éventuellement se piéger dans ses erreurs et ses contradictions. «Vous verrez dans les yeux, vous le verrez dans le regard, vous verrez avec des choses qui n’avancent pas. Mais, en général, c’est dit ou il y a un signe, un signe qui bien sûr dit ’pas d’accord’, c’est soit verbal, soit c’est le langage du visage. C’est très expressif» FR/TM/11.

58Les résultats empiriques confirment que les facteurs socio-culturels chinois présentent toujours une divergence forte avec les courants managériaux occidentaux. Cette divergence devient un défi important pour les FMN dans leur confrontation aux nombreuses tensions «globales et locales» (Jaussaud et Mayrhofer, 2013). Elle offre également de nouvelles perspectives de recherche en management international. En cherchant une solution qui se situe entre «la théorie chinoise du management» et «la théorie du management chinois» (Barney et Zhang, 2009), nous essayons de déchiffrer la «strategy-as-practice» des FMN implantées en Chine, en décortiquant les actions des praticiens et les interactions entre eux (Whittington, 1996).

59Nos résultats indiquent que les répercussions des facteurs socio-culturels nécessitent des nouvelles pratiques de management stratégique, pendant l’élaboration des stratégies, pendant la prise de décision et pendant sa mise en opération. Des pratiques inadaptées peuvent inhiber la capacité d’une organisation à développer des avantages compétitifs supplémentaires vis-à-vis de leurs concurrents (Lemaire et al., 2012). Les FMN devraient donc accorder plus d’importance à traiter ces pratiques dans leur management stratégique, «en faisant certaines choses à la façon chinoise», comme l’a proposé Tse (1998) il y a 20 ans.

60Lemaire et al. (2012) proposent d’adopter plus systématiquement une démarche intégrant ces nouvelles logiques d’analyse et de prise de décision, afin de suggérer de nouveaux thèmes de réflexion et une meilleure compréhension des contextes, des politiques, des actions à engager. Certains managers s’en aperçoivent déjà: «Mon rôle est de trouver une façon équilibrée entre deux cultures qui permet à l’entreprise d’avancer. L’approche française est bien sérieuse et rigoureuse tandis que l’approche chinoise est beaucoup plus souple et flexible. Nous ne pouvons pas gérer de la même façon qu’en France, ni de la façon chinoise. N’importe quelle façon toute seule ne fonctionne pas» CN/TM/10+.

61Les FMN pourraient d’abord essayer d’obtenir des données formelles et informelles, et de les sélectionner et les traiter de façon optimale au quotidien par les managers locaux. Ensuite, grâce à cette base de connaissances, issue de la pensée holistique chinoise, les méthodes et les outils en management stratégique occidentaux pourraient être transposés lors de la formulation et de l’intégration systématique des réflexions stratégiques locales à l’ensemble des stratégies globales des FMN. Les objectifs stratégiques devraient ainsi se développer dans un processus dynamique via la mise en place de révisions, régulières et/ou irrégulières, plus fréquentes en cas de changements. Il serait aussi possible d’avoir une séparation des différents horizons d’objectifs, en fonction des spécificités de chaque unité au sein de l’entreprise.

62Le succès de cette démarche nécessite un travail préalable de réflexion, tant pour les managers de FMN que pour les chercheurs. Les philosophes ayant travaillé sur la Chine, de Julien (1997) à Li et Taieb (2015), insistent sur le fait que le comportement organisationnel des chinois peut être compris et mieux étudié par le prisme de leurs racines philosophiques et historiques. Or, malheureusem*nt, dans la plupart des cas, nous construisons une «industrie de l’interculturel» (Livian, 2011, p.2), en livrant des recettes prêt-à-porter pour «doing business in China». À notre avis ce genre de recette miracle n’existe pas et chaque FMN est obligée de passer par une étape d’introspection. C’est pour cette raison qu’il est important, dans notre future recherche, de comparer les fondamentaux entre la logique de l’honneur des français (d’Iribarne, 1989) et la logique du théâtre des chinois (Lin, 1997). Les FMN françaises peuvent-elles développer un avantage compétitif par rapport aux FMN anglo-saxonnes?

63Nos résultats montrent la nécessité de savoir comment une FMN peut transformer la connaissance des spécificités socioculturelles en «outils pratiques» du management stratégique: «Comme toutes les FMN, elle (FMN-E) est arrivée en Chine avec une nouvelle modalité managériale. C’est son avantage mais elle doit dépendre des spécialistes locaux pour la compréhension du contexte local. C’est un processus qui implique d’apprendre, d’ajuster, de se comprendre» CN/CD/2.

64Tout échange est basé sur une confiance manager-managé et sur «une réciprocité pour la confiance donnée» FR/CD/9. Lorsque les pouvoirs et les responsabilités sont répartis de façon verticale et horizontale entre les individus, les coopérations et les coordinations horizontales intra et inter-groupes d’intérêts devraient faciliter les processus verticalement décentralisés. Développer «une ambiance» et préparer les moyens formels et informels qui favorisent les contributions «volontaires» de tous managers à tous niveaux hiérarchiques devient ainsi très important: les communications indirectes entre les différents niveaux hiérarchiques et les coopérations orientées vers les intérêts collectifs au même niveau sont indispensables pour la prise des décisions.

65La réussite de la gestion d’une équipe interculturelle serait ainsi basée non seulement sur la compréhension réciproque des différentes valeurs culturelles nationales, mais aussi sur l’intégration de ces valeurs dans les pratiques stratégiques (Gao et David, 2014). La relation interdépendante entre les expatriés et les locaux est donc essentielle pour l’efficacité des pratiques stratégiques. C’est grâce à leur participation et leur coopération que le management stratégique des FMN occidentales peut réussir sur le terrain chinois, et non uniquement grâce aux procédures managériales formelles. Il est donc nécessaire pour nous de continuer à observer les évolutions de ces interactions: l’hétérogénéité culturelle permettra-t-elle aux filiales de FMN françaises en Chine de cultiver un espace d’échange fertile, favorisant l’émergence des nouvelles théories et pratiques en sciences de gestion, par une conceptualisation hybride (Mayrhofer et Urban, 2011)?

66Nos résultats confirment la nécessité, pour les FMN implantées dans les pays émergents, non seulement de gérer les relations de leurs filiales à l’interne, mais aussi les relations externes avec les parties prenantes, comme le gouvernement du pays d’accueil, les entreprises locales, les autres concurrents mondiaux (Beddi et Mayrhofer, 2013).

67À l’extérieur des organisations, la prise en compte des relations entre parties prenantes est souvent ignorée. Or, elles sont de plus en plus nombreuses, répondant à des incitations et suscitant des interactions plus complexes (Lemaire et al., 2012). Ces relations peuvent être considérées comme des opportunités permettant aux FMN de construire un environnement favorable et de renforcer leur position dans les rapports de forces partenariaux (Buckley et al., 2006). Nous n’avons pas pu interroger les acteurs externes des FMN dans ce projet. Malgré cette limite méthodologique, nos résultats montrent que les FMN ont besoin davantage de connaissances et de sensibilisation portant sur le contexte local afin de gérer ces relations complexes, personnelles, inter-partenaires et avec le gouvernement. Les managers locaux jouent un rôle vital dans ces multiples niveaux de relations sociales et politiques; il est donc important d’intégrer cette nouvelle perspective de recherche centrée sur la gestion des compétences spécifiques des managers pour le développement des FMN sur les marchés émergents.

68Le développement économique rapide du marché chinois et les régulations institutionnelles moins développées sont à la fois un grand challenge pour les FMN et une opportunité pour les chercheurs de développer de nouvelles théories qui peuvent s’adapter aux spécificités des marchés émergents (Hadjikhani et al., 2012). Nos résultats suggèrent la nécessité de l’intégration des concepts culturels chinois dans les stratégies managériales des FMN. Nous pouvons citer par exemple, Sidibe et Saner (2012) qui proposent de créer un nouveau profil de «business diplomacy» pour les middle-managers qui prendront en charge la gestion de ces relations.

69La Chine occupe désormais une place déterminante dans l’’économie mondiale avec une influence déterminante dans presque tous les domaines de l’entreprise (Buckley, 2009). Ceci entraîne par conséquent une littérature significative sur le phénomène des IDE et sur la gestion des FMN en Chine (Fetscherin et al., 2010). Pour les FMN qui cherchent un équilibre entre la tension globale-locale, nos résultats confirment que l’implantation des FMN dans ce pays ne peut ni changer ni effacer la «mentalité collective» locale. C’est ainsi qu’il apparaît indispensable que les FMN élaborent un management stratégique spécifique en intégrant des particularités locales. Dans ce sens, l’apprentissage des économies émergentes remet en question les théories plus «classiques» (Beddi et Mayrhofer, 2013).

70Les réponses de notre étude ont été axées sur le rôle des objectifs et des méthodes utilisés dans la formation de la pensée stratégique holistique, le lien entre les concepts de pouvoir et de responsabilité dans la prise de décision et enfin, le rôle des interactions psychosociales dans la mise en place des stratégies. Les pratiques stratégiques intégrant les spécificités locales jouent un rôle déterminant dans la dynamique et la performance des filiales des FMN.

71L’ouverture et l’importance de futures recherches sur l’interaction entre les FMN et leurs environnements internes et externes, notamment dans un contexte en mutation complexe comme la Chine présente des opportunités pour des futures recherches en gestion.

72La complexité et la fertilité du contexte chinois pourraient jouer un rôle d’incubateur, à la fois pour développer de nouvelles théories en management et pour valider les théories préexistantes dans les économies occidentales (Fetscherin et al., 2010; Buckley, 2009). Notre étude s’inscrit dans un domaine de recherche en management international, en identifiant des phénomènes empiriques clés dans l’économie mondiale. Ainsi notre prochaine recherche tentera de schématiser le processus décisionnel des FMN en Chine, en explorant les interactions au niveau vertical et horizontal et en identifiant l’impact de la culture d’entreprise, française ou américaine, sur ces interactions.

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